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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/96

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croyaient aussi, ce jour-là, en plein Gange, surtout lorsqu’ils regardaient ces fabriques d’architecture bengalienne, ces contrefaçons de chattirams, ces imitations de pagodes que les caprices millionnaires ont fait bâtir aux deux bords de la Tamise, en souvenir des doux rivages de Calcutta et de Madras. On est heureux une fois par an, c’est beaucoup le nabab Edmond Turnpike m’avait invité, le 2 juillet 1838, à son habitation de la Tamise, où l’india fashion brillait de tout son luxe, à la faveur d’un soleil complaisant, qui avait revêtu son costume indien. L’or intelligent est un métal assez utile ; on aime à le voir ruisseler entre les mains du nabab Edmond : Cet héca-millionnaire n’a pas dit à un maçon anglais : Bâtissez-moi un château comme tous les châteaux, avec une grande façade plate, un perron bourgeois, un toit pointu orné de trente cheminées ; il a pris les quatre in-folios de Solwyns et de l’English-India, et il a dit à un architecte ingénieux : Prenez dans ces belles gravures ce qu’il y a de plus pittoresque et bâtissez-moi du pur indien, comme si Vitruve n’existait pas. Ma caisse est ouverte Hart-Street dans la Cité, de dix heures à deux ; ne la ménagez point.

Cette courte allocution a opéré des prodiges ; rien n’est charmant comme l’habitation du nabab Edmond ; en la voyant sur sa rive, la Tamise se donne des airs de Gange, et croit que le golfe de Bengale commence à Gravesend. Au fond d’une allée de sycomores s’élève le temple de Dèz-Avantar, à deux étages, comme celui de Ten-Tauly ; l’architecte n’a pas enlevé à ce monument une seule de ses grâces originales, de ses adorables fantaisies ; il n’y manque pas un détail sculpté des dix incarnations. L’intérieur, fait pour être