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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/98

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que menteurs, d’étaler des cochers couverts d’un garrick, et ensevelis sous les étages d’une perruque poudrée ; ou de se faire servir par des grooms habillés d’un énorme gilet rouge criard et chaussés de bottes à revers. Les pagodes ont horreur des graves mascarades domestiques du West-End. Notre intelligent nabab, en quittant l’Inde, a ramené un assortiment complet de serviteurs, libres par la loi anglaise, mais toujours teints de la couleur de l’esclavage ; ce qui laisse encore au maître une illusion autorisée par les abolitionnistes. Ces douces carnations bengaliennes, assez semblables aux nuances du bronze florentin, font le meilleur effet dans le paysage et le complètent en lui rendant ses habitants naturels. Il y a surtout de jeunes filles de Ceylan, de Madras, d’Hyder-Abad, de vraies Bengalis, qui ne sont pas, comme le règne végétal de l’endroit, des imitations métalliques ou des bayadères de zinc, mais des servantes de Siva converties au christianisme par le zèle des méthodistes : elles ont toutes perdu la gaieté de leur âge en perdant les paysages paternels ; et elles tournent sans cesse leurs grands yeux de velours d’iris vers l’horizon où se lève un vrai soleil qui n’éclaire pas des bananiers de fer-blanc.

Le nabab Edmond me ménageait une surprise plus grande, et de temps en temps il tirait son chronomètre infaillible du fond d’un vaste gilet chinois, et regardait la Tamise avec anxiété. Nous étions assis sous le toit d’un chattiram peint en bois d’érable, et ouvrant son escalier sur un embarcadère dallé de marbre lancastrien. Les esclaves libres nous servaient un déjeuner impossible ; c’était le carick authentique, avec le riz benafouli couleur d’or ; puis des conserves de nids d’hi-