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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/99

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rondelles, extraits de la crevasse rocailleuse des Maldives ; puis du jambon de Labiata, l’ours de l’île de Panay. Nous buvions les vins de Lalia, de Kerana, de Constance, dans des coupes de cristal taillées dans le granit diaphane de Theaomock. Le point de vue dont nous jouissions était admirable : devant nous la Tamise emportait à l’Océan ou lançait à Londres deux files de paquebots à vapeur, entremêlés de navires voiliers, décorés de la mousse de l’océan Indien ; sur l’autre rive, nous distinguions, à travers un brouillard lumineux, les coupoles sombres, le parc et l’observatoire de Greenwich, et à notre droite, du côté de Londres, le Méandre de la Tamise, hérissé de mâts et de pavillons sans nombre, comme le port de l’univers.

Un petit courant latéral de la Tamise, voilé à nos regards par des masses de feuilles naturelles, lança soudainement au débarcadère un fly à vapeur, et le nabab fit un mouvement de joie et battit des mains, en disant « C’est lui ! »

Le fly accosta l’escalier du chattiram, trois jeunes matelots descendirent et tendirent les mains à un homme vêtu à l’indienne, qui ne paraissait pas fort leste, à cause de son obésité.

Le nabab descendit l’escalier du chattiram pour recevoir l’étranger et lui faire les honneurs de son habitation. Aux marques de déférence accordées à cet Indien par le maître et les serviteurs, je compris qu’il occupait un rang suprême ou qu’il en était descendu, comme un Syphax ou un Jugurtha indien, trophée vivant amené à Londres :

Annibalis spolia et victi monumenta Syphacis.