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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/108

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LE LIVRE

belle & bonne verge que vous m’avez envoïe, & certes il ne faut mie que vous me pryés de la bien garder, car pen ſuis tous pryés. Ma tres-chiere & ſouveraine dame, ſe je vous eſcri plus rudement, nicetement & mal ſagement que je deuſſe, ſi le me vueilliés pardonner, car il ſont .ij. choſes qui font deſtourner la mémoire d’un homme : trop grant joie & trop grant doleur ; &, par m’ame, quant je regarde vos douces & amoureuſes paroles, vos riches promeſſes, que je n’oſeroie ſouhaidier ne deſirer, pour ce que tels biens n’apartient pas a moi, j’ay ſi grant & ſi parfaite joie, que créature humaine ne le ſaroit ne porroit penſer ; & quant je penſe & voy que par nulle voie, je ne puis aler vers vous, pour ſaouler mon cuer & mes yeux de vous veoir, ma joie en dolour ſe mue, & en ay tant, qu’il n’a ſi dur cuer en monde, ſe il avoit pitié en li, qu’il n’en euſt compaſſion, s’il me véoit ; mais tels eſt li meſtiers d’Amours : pour une joie .c. dolours, ſi que je ne vous eſcri mie ſi reveremment, ne ſi humblement comme je deuſſe, ma tres-chiere & tres-ſouveraine dame. Je pri Dieu qu’il vous doint honneur & joie tele comme vous meiſmes le vorriés, & tele comme mes cuers le deſire, comme à la créature du monde que j’aime plus, & que je deſire plus à veoir. Ma tres-ſouveraine dame, je vous pri que vous ne bailliés nulles copies de ce que je vous envoie ; pour ce que je y penſe à faire les chans, eſpecialement ſur celles qui mieus vous plairont ; & ſe je n’ay envoiet vers vous ſi toſt comme je déuſſe, ſi le me vueilliés pardonner ; car, par m’ame, ce n’eſt mie par deffaut d’amour ne de ſouvenance ; il me ſouvient plus de vous que de tout le monde, & penſe que je fuſſe piéça mors, ſe li ſouvenirs que j’ay de vous ne fuſt. Mais je pren joie & confort & vraie eſperance que je vous verray encore, tout ainſi que mes cuers le deſire. J’ay au jour de hui receu vos lettres que mon ſecretaire m’a envoïes, eſquelles vous me faites ſavoir voſtre bon eſtat ; dont je ſuis moult liés ; & vraiement c’eſt la plus grant joie que je puiſſe avoir, que d’en oÿr