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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/114

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[vers 1318]
LE LIVRE

On me diſt que ma dame chiere,
Que j’aim d’amour fine & entière,
Doubtoit que je fuſſe celli
Qui amaſt un autre que li,
Et que forment li deſplaiſoit
En cuer, mais elle s’en taiſoit.
Certes jà tant de mal n’éuſſe,
Se d’autre amer la meſcréuſſe ;[1]
Qu’eſpoir éuſſe en ſa bonté
Et en ſa fine loiauté.
Si li reſcri par tele guiſe
Com ceſte lettre le deviſe.


VIII. — Ma tres-chiere & ſouveraine dame, on m’a dit que vous vous doubtés de moi, que je ne vous face fauſſeté ; & comment que je n’en féiſſe onques ſemblant à la perſonne qui le me diſt, l’impreſſion de ceſte parole eſt telement emprainte dedans mon cuer, que jamais n’en partira ſe par vous. Et vous plaiſe ſavoir que je ne le vorroie mie, ne porroie faire, nés que li plus grans homs du monde [me le commandaſt]. Et s’il advenoit, dont Dieus me gart, je ſeroie li plus faus & li plus traitres qui onques fuſt, & plains du mauvais pechié d’ingratitude, c’eſt rendre mal pour bien. Et comment que je ne ſoie mie dignes de vous regarder ne de vous loer, ſe vous aviez ymagination contre moi, je ſeroie perdus & mors ; car je aroie perdu m’eſperance & mon confort, & legierement m’ariès oublié & guerpi. Mais ce ſeroit à tort : car, par m’ame, ſe toutes les dames du monde eſtoient en une place, je vous ameroie plus toute ſeule que toutes les autres : car cuers donnés ne ſe doit retolir, & tant a fols en bonne ville quil aime où il vuelt. Et s’aim mieulz languir pour vous que de nul autre joïr : ſi que, toutes les fois qu’il me ſouvient

  1. Si je l’avois ſoupçonnée d’en aimer un autre.