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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/115

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DU VOIR-DIT.

de ceſte parole, je ſuis en tel friſſon & en tel paour de vous perdre où je n’ay riens, fors ce que Eſperance m’en fait avoir, que mes triſtes & dolens cuers pleure larmes de ſang. Et, ma ſouveraine dame, vous poés legierement veoir & ſavoir que mes cuers eſt fermes en vous comme pierre en or & comme chaſtiaus ſur roche. Car vous ſavés qu’il n’eſt ſi juſte ne ſi vraie choſe comme experience, & vous poés aſſez ſavoir & veoir par experience que toutes mes choſes ont été faites de voſtre ſentement, & pour vous eſpeciaulment, depuis que vous m’envoiaſtes :

Celle qui onques ne vous vit
Et qui vous aimme loyaulment,

car elles ſont toutes de ceſte matière. Et, par Jheſûcriſt, je ne fis onques puis riens qui ne fuſt pour vous, car je ne ſay ne ne vueil faire de ſentement d’autrui fors ſeulement dou mien & du voſtre, pour ce que : Qui de ſentement ne fait, — ſon dit & ſon chant contrefait. Si vous ſuppli tant humblement comme je puis & ſay, comme à la femenine créature qui vive que j’aime le plus, & en cui j’ay plus grant fiance, vous ne vueilliés avoir penſée ne ymagination contre moi : car, par m’ame, ſi toſt comme je le ſaray, jamais par moi ne ſeront fais dis, loenges, ne lais, ne chans ; ſi que vous remis m’averez où vous me préiſtes. Car auſſitoſt comme vous m’avés fait me poés-vous deffaire, quant il vous plaira. Je vous penſe à veoir, voire prochainement, ſe Dieus plaiſt & je puis ; &, par Dieu, ce ne ſera mie ſi toſt comme je vorroie. Ma tres-chiere & ſouveraine dame, je prie à Dieu qu’il vous doinſt paix & ſanté, & volenté de moy amer, & honneur tele comme mes cuers deſire.

Voſtre plus loial ami.


Si que là tendrement plouroie,
Et parfondement ſouſpiroie.
Mais il vint un certain meſſage
Qui m’aportoit ſa douce ymage ;