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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/184

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[vers 3083]
LE LIVRE

« Revenés toſt, je vous en pri,
« Et n’oubliés pas mon depri.
« Car c’iert mal fait ſe vous tenés
« Que vous par ci ne revenés. »
Je li dis : « Par ci revenray,
« Et loial convent vous tenray. »
De là me parti tout en l’eure,
À cuer qui fort ſouſpire & pleure ;
Mais ainſois que je me partiſſe,
Ne qu’à cheval monter volſiſſe,
Cette lettre li envoiay
Qu’eſcris de ma main, & ploiay.[1]


XVI. — Mon tres-dous cuer & ma tres-chiere amour, j’ay grant doubtance que vous ne tenez mains de mi, de ce que, quant je ſuis en voſtre préſence, je n’ay ſens, manière ne advis, & ſuis comme uns boms perdus. Et, par la foy que je doy à vous que j’aim .c. mille fois mieus que mi, toutes les fois que je vous voy, je n’ay vertu qui ne m’oublie. Car il me convient ſuer ſans chaleur, & trembler ſans froideur. Et quant je ne vous puis véoir, & il me ſouvient & ſouvenra de la très-douce & ſade nourriture dont vos nobles cuers m’a franchement & doucement repeu & par pluſieurs fois & ſans demander, Deſirs ſi me point & aſſault par telle manière, qu’il convient que j’aie le cuer ſi eſtreint que la liqueur en deſcent parmi mes yeus. Et par m’ame, s’Eſperance n’eſtoit qui me conforte ſur toutes choſes, je n’ay pas corps pour telz cops endurer ne ſouſtenir. Et auſſi voſtre douce ymage me conforte & me confortera ſur toutes choſes, & ce que je penſe, qu’onques ſi gentil corps, ne ſi nobles cuers ne fu, qui n’i euſt franchiſe & pitié. Et, mon

  1. Il écrit lui-même parce qu’il n’a pas avec lui ſon ſecrétaire.