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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/189

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DU VOIR-DIT.

XVIII. — Mon cuer, m’amour & quanque je deſir ; j’ay bien véu ce que vous m’avés eſcript ; ſi feray de tres-bon cuer ſongneuſement & diligemment le contenu de vos lettres ; car, par icellui Dieu qui me fiſt, il ne m’eſt mie advis que je péuſſe meſprendre, ne que il me péuſt mal venir de faire choſe qui vous pléuſt, ne de choſe que vous me loiſſiés[1] ou conſelliſſiés. Et ne vous doubtés en rien ; que ſe tous li mondes me looit ou conſilloit une choſe & le contraire vous plaiſoit, voſtre douce volenté ſeroit aſſevie & laiſſeroie la volenté de tous les autres. Si devés eſtre bien aſſéur de moy & de mon amour, car je vous ſay ſi bon & ſi loyal en tous cas, & auſſi que vous amez tant moy, mon bien, ma pais & mon honneur, que vous ne me vorriés, ne ſariés ne daigneriés concilier choſe qui ne fuſt à mon honneur, plus que créature qui vive. Si ſuis bien tenue à faire vos bons plaiſirs, & ſi, les feray à mon povoir, & vous ameray ſur toute créature humaine tres-loiaument, tous les jours de ma vie, & plus encores, ſe plus vivre pooie. Et, mon tres-dous amis de mon cuer, vous dites que vous reſſongniés le partir de moy, & que ce vous ſera moult dure choſe ; mais ſoiez certains que je croy que il me ſera plus dur que à vous ; car, en l’ame de moy, c’eſt la choſe du monde de quoy je reſſongne le plus, & à quoy je penſe le plus, après vous. Mais, ſe Dieu plaiſt, vous & moy y pourverrons de tele maniere que nuls ne s’en percevera. Et, mon dous cuer, nous nous en devons conforter ; car c’eſt choſe qu’il convient faire, n’onques ne fu autrement. Si devons penre le temps ainſi comme Dieus le nous envoie. À Dieu, mon dous cuer, qui vous doinſt joie de quanque voſtres cuers aime & deſire.

Voſtre tres-loiale amie.

  1. Ou louaſſiez. Le verbe louer ſe prenoit ordinairement à peu près comme ſynonyme de donner avis, conſeil.