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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/368

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LE LIVRE

cuer ſoit ſi crueus envers moy que je n’y puiſſe trouver confort ne amour, je ſuis celle qui me doy plaindre de vous plus que nulle femme ne fiſt onques de ſon amy, & plus que ne fiſt Medée de Jaſon. Et ſi, vous promet loiaument & jure, ſeur tous les ſacremens que nuls creſtiens puet jurer ; car ſe il eſt einſi que Amours que j’ay ſi longuement & ſi loiaument ſervi & en qui j’ay mis cuer, penſée & amour, me tolt la riens ou monde que j’aime plus chierement, dont elle m’avoit promis bien & parfaite joie, je la renye, & renunce de tous poins à li & à ſon ſervice. Ne jamais ſa ſerve ne ſeray, n’en telle ſubjeccion, ne moy ne nulle autre femme que j’en puiſſe deſtourner. Ne jamais bien ne plaiſir ne feray à nul homme que je ſaiche qui aime par amours moy ne autre femme ſeur qui j’aye pooir ; ainſois leur feray tout l’anuy & tout le deſtourbier que je pourray, & tout, en deſpit d’Amours qui tant de mauls me fait. Mais s’il vous plaiſt, mon tres-dous amy, vous poez bien toſt amender ce courrous. Car ſe vous me voulez tenir pour bonne & vraie & loial amie, tele come je suis & ſeray toute ma vie, & que vous ne vueilliez nuls croire de choſe que on die contre moy, & auſſi que vous me vueilliez eſtre bons & loiaus amis, ainſi come autrefois avez eſté, ſachiez certainement que onques Amours ne fu autant ne ſi loiaument ſervie ne honorée, come elle ſera encores de moy, pour l’amour de vous. Si vous pry & ſupply ſi humblement & ſi chierement come je puis & en tout guerredon, que vous me vueilliez eſcrire par ce meſſaige en telle maniere que je puiſſe eſtre confortée. Car vous poez ſavoir certeinnement qu’il eſt du tout en vous de mon bien, de mon honneur & de toute ma joie. À Dieu, mon tres-dous cuer, à qui je prie de bon cuer & léal, & à ſa douce vierge mere, qu’il vous doint honneur & joie de quanque voſtre cuer aime ; & qu’il vous mette en volenté de faire choſe dont je ſoie resjoïe. Eſcript le .xiiie. jour de novembre.

Voſtre léal amie.