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Page:Machaut - Le Voir Dit, 1875.djvu/96

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[vers 1035]
LE LIVRE

Me ſuis ſans retollir donnés,[1]
Et ligement abandonnés :
Et penſoie dont ce puet naiſtre
Que je ſuis ſi fort mis à maiſtre,
Que j’ay & cuer & corps ravi
Pour ma dame qu’onques ne vi.
Ce me ſemble ſi grant merveille
Qu’onques-mais ne vi la pareille.
Mais il n’eſt choſe qui n’aveingne,
Ne ſi duer cuer qu’Amours ne freingne.[2]

En ce paÿs a pluſieurs dames
Bonnes, belles, & preudefames,
Juenes, gentes & renvoiſies,
Longues, droites & alignies,
Douces, plaiſans & gracieuſes,
Taillies pour eſtre amoureuſes ;
Je les puis tous les jours véoir,
Et moi dalès elles ſéoir,
Jouer, moquer, chanter & rire ;
Et leur puis ma volenté dire :
Je les voy dancier & baler,
Cointement venir & aler ;
Je leur voy toutes choſes faire
Honneſtes & de bon affaire :
Mais ce ne porroit avenir
Qu’Amours péuſt en moi venir,
Pour laiſſier celle qui lontaine
M’eſt de l’ueil, & du cuer prochaine.
Et comment ſe puet cecy joindre,

  1. Sans retollir, ſans retour ou rachat, terme de droit.
  2. N’arrête, d’où refréner.