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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/10

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LA LUXURE DE GRENADE

La force tranquille des pierres le rassura. Les minarets que certaines maisons avaient gardés de l’époque Mauresque se découpaient dans le ciel comme des jeunes filles exaltées par la chaude nuit. Sur sa gauche il y avait des lampes allumées dans la Juiverie de Santa Cruz et plus loin dans la Maurerie où habitaient les cardeurs et les tisserands. Le paysage qu’Almazan avait sous les yeux était familier et paisible.

Qu’avait-il à craindre du reste ? Depuis quelques années la milice de la Sainte Hermandad avait organisé une police nocturne qui rendait plus difficiles les attaques à main armée. N’était-il pas connu de tout Séville ? Depuis que le médecin juif Aboulfedia avait cessé par bizarrerie inexplicable de pratiquer la médecine, c’était lui que, malgré sa jeunesse, on venait consulter. Il était aimé du bas peuple de Triana qu’il soignait gratuitement. C’est vrai, le Saint Office le considérait comme suspect d’hérésie. Il se savait haï par le docteur Juan Ruiz, conseiller de la reine, un des deux dominicains nommés par le pape qui dirigeaient à Séville les premières enquêtes contre les conversos et les juifs. Mais il avait des amis puissants qui devaient le prévenir en cas de danger réel. Son âme était bien trempée et jusqu’alors inaccessible à la crainte.

Il repoussa avec colère la jalousie de sa fenêtre. Le bruit le fit tressaillir.

Il haussa les épaules. Il s’irrita de sa faiblesse. Il se parla à lui-même à haute voix.

— Voyons ! Est-ce que je ne perds pas l’esprit ?

Sa voix résonna avec un accent inattendu dans le