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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/104

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LA LUXURE DE GRENADE

irrémédiablement gros que le jour où il le reconnaîtrait. Il continuait à manger et à boire énormément, bercé par le mensonge de ses familiers qui disaient que chez lui, par une exception heureuse, la nourriture ne causait pas d’embonpoint. Il imposait d’ailleurs cette opinion, par la terrible autorité de son regard, la suggestion qui se dégageait de lui, quand il demandait, chaque matin :

— N’est-ce pas que j’ai maigri ?

Et il interrogeait le Hagib qui venait lui parler des affaires du royaume, les Alfaquis qui erraient dans les jardins en commentant le Koran, les gardes devant les portes et même un muet qui le suivait partout et qui faisait en riant des signes approbateurs dès qu’il désignait son ventre du doigt.

Il avait choisi pour compagnon de promenade Hamet Moktar, le grand maître des écoles publiques, qui était aussi gros que lui et qu’il raillait à ce sujet. Il le faisait marcher très vite et longtemps, de façon à pouvoir lui dire :

— Tu grossis, mon pauvre ami, tu ne peux plus me suivre !

Abul Hacen prétendait qu’il aimait errer incognito dans Grenade, pour écouter parler ses sujets, à l’imitation d’Haroun Al Rachid dans Bagdad. Modestement vêtu, suivi d’Ali le muet, il allait avec Moktar le long des bazars et sur les marchés, mais comme il était vaniteux il ne pouvait s’empêcher de regarder les passants avec superbe, jusqu’à ce que ceux-ci l’eussent reconnu et se fussent prosternés. Il feignait alors un grand ennui de ne pas pouvoir passer inaperçu.