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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/12

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LA LUXURE DE GRENADE

vrent à notre insu de grands combats autour de nous. Heureusement une forme matérielle épaisse recouvre notre entendement et nous en voile la perception, car nous deviendrions fous à les contempler.

L’archevêque Carrillo avait raison. Il y avait mille formes vivantes autour de lui. Certaines étaient bénéfiques, mais d’autres étaient pleines de haine et terribles aux hommes. Ce vieil insensé d’Aboulfedia ne lui avait-il pas fait la description des larves grises qui flottaient au-dessus de certains mauvais lieux, des ephialtes difformes que les yeux physiques ne pouvaient voir parce qu’ils étaient d’une matière plus subtile que celle de nos corps. Tous les alchimistes, tous les savants avec qui il s’était entretenu étaient unanimes sur l’existence de ce monde qui peuplait l’éther. Lui-même, à certaines heures de grande exaltation intellectuelle, n’avait-il pas entrevu des contours idéaux de jeunes femmes ravissantes et immatérielles ?

Il leva les yeux et regarda le ciel d’un bleu sombre, criblé d’étoiles. Est-ce que l’aboutissement de toute connaissance, la sagesse dernière des livres grecs, hébreux ou arabes qui remplissaient sa maison n’était pas le culte de la volonté humaine ? Il avait en lui la plus grande force possible.

Cette pensée le rendit plus calme.

— Allons ! ce que j’ai de mieux à faire, c’est de dormir, songea-t-il.

C’est alors qu’il eut la perception d’un bruit de pas légers sur le quai et de la présence d’un être humain derrière la porte d’entrée de sa maison. Quelqu’un était maintenant tapi contre le bois de la