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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/154

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LA LUXURE DE GRENADE

grand nombre de portes pour permettre aux habitants qui ne pouvaient sortir de cette enceinte, de venir acheter leur nourriture aux marchands qui y affluaient chaque matin.

Et cela faisait auprès de Grenade une ville morne que rien n’aurait distingué d’une autre si un particulier silence ne l’avait emplie. Ce silence provenait non de l’absence de joie à vivre, car la joie était aussi grande là qu’ailleurs, mais de l’interdiction de tout négoce, la maladie étant censée se communiquer par la circulation des objets plus que par l’attouchement des personnes. Et plus impressionnant, les jours de pluie, était le grand silence de cette ville, car alors tous les lépreux sortaient devant leur seuil et tendaient au ciel leur visage et leur corps pour qu’ils soient lavés, attribuant une force mystérieuse de guérison à la pluie.

Le crépuscule aggravait les tons crayeux des maisons. Il y en avait de riches avec des jardins, mais par le fait de la nature sablonneuse du sol, la végétation avait quelque chose de malingre, les palmiers étaient tuméfiés, les pins laissaient couler une résine plus abondante et pareille à de l’humeur. Les masures délabrées se succédaient, elles avaient l’air collées les unes aux autres et leurs façades étaient fendillées, prêtes à se détacher comme des croûtes.

Rosenkreutz et Almazan glissaient par les longues ruelles, regardant parfois une face plus grande que nature avec des yeux énormes, effleurant des corps blanchâtres qui, à leur approche, s’écartaient précipitamment et ils n’écoutaient pas des excuses bredouillées ou de rauques salutations.