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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/198

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LA LUXURE DE GRENADE

Jamais elle n’avait imaginé une aussi bestiale expression sur des visages humains. Les trois frères faisaient le même geste de leurs bras ouverts et ils tendaient devant eux des mains blanchâtres, aux jointures déformées, avec des gonflements mouillés dans la paume. L’aîné, le plus petit, portait sa tête en avant comme si elle avait un poids énorme et qu’il eût de la peine à la soutenir et, ce qui aggravait cette particularité, c’étaient ces sortes de tubercules placés autour de ses lèvres et dont la couleur était analogue à celle du plomb. Le second était entièrement chauve et il avait autour du front une ride profondément creusée qui faisait une ligne de démarcation comme si la partie supérieure de son crâne, d’une étrange hauteur, était ajoutée au reste de la tête et susceptible d’être aisément enlevée. Le plus jeune en était à cette phase de la maladie où la peau forme des successions de squames morts et tombe inlassablement par morceaux et, d’un geste machinal, il passait sans cesse une main sur son visage et sur ses épaules pour en détacher quelque croûte. Tous trois riaient de la terreur qu’ils inspiraient et de la certitude de la possession.

Ensemble, ils firent un mouvement en avant et, de ses deux bras tendus, Khadidja précipita contre eux la lampe de bronze qui s’écroula avec fracas, plongeant la chambre dans les ténèbres et répandant une nauséabonde odeur d’huile et de mèche brûlée.

Il y eut des imprécations. Khadidja sentit l’étreinte de deux mains sous ses aisselles. Elle glissa comme un serpent. Sa chevelure se défit. Elle courut de droite et de gauche, se heurtant aux murs, poursuivie par