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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/221

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LA LUXURE DE GRENADE

Le derviche en faisant un pas en avant pour frapper, avait glissé sur une dalle et était tombé sur un genou. Il ne se releva pas. Un garde, croyant bien faire, lui porta un coup de cimeterre si violent qu’il le tua net, privant ainsi l’Émir de tout ce que la torture aurait pu lui apprendre sur le motif du crime et celui qui l’avait inspiré.

Comme Almazan se penchait sur l’homme pour s’assurer qu’il était mort, il le reconnut. Il crut le reconnaître, car les coups de talon dont lui avaient frappé le visage ceux qui étaient présents dans la cour des Lions, l’avaient en partie défiguré. C’était là le faux Santon qu’il avait tenté de poursuivre devant la grande mosquée, l’homme qui s’était introduit chez Al Birouni, le dominicain chassé jadis de l’Ordre par Thomas de Torquemada lui-même pour son indignité.

Ce bas espion du Saint Office avait dénoncé et fait brûler, en les accusant mensongèrement, des savants inoffensifs et désintéressés. Il y avait beaucoup de chances que ce fût lui qui eût empoisonné l’archevêque Carrillo, si toutefois l’archevêque n’était pas mort par sa propre imprudence. Il poursuivait dans Grenade une œuvre de trahison et de crime.

Almazan chercha sur ses traits, sous sa barbe arrachée, sous les caillots de sang, dans les prunelles déjà vitreuses, les stigmates du mal. Il n’y en avait pas. Il tenait un crâne ordinaire, une tête pitoyable d’homme atteint brusquement par la mort. Le masque du visage même avait pris une certaine grandeur tragique.

Et alors Almazan fut frappé par cette pensée. Ce