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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/228

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LA LUXURE DE GRENADE

née, un obsédant bourdonnement de conversations et de cris qui augmentait le soir quand les bakals faisaient la distribution de viande salée et de pain. Ce bourdonnement s’éteignait peu à peu à l’heure où les étoiles luisaient à travers les voiles triangulaires, faisaient étinceler les râteliers d’armes, les longues coulevrines et le bronze des pierriers. Alors seulement les passagers percevaient, bas, étouffé, puissant, un soupir obscur, une énorme respiration. C’était le ahan ! des forçats de la chiourme qui, enchaînés dix par dix, la tête rasée, les muscles tendus, exhalant une horrible odeur de sueur, peinaient sans relâche sous le bâton des comites et soufflaient, comme s’ils étaient les poumons de la galère et comme s’ils la soulevaient de leur haleine.

Mais il y avait dans la galère, sous la nuit, un autre bruit plus inquiétant. C’était le pas de l’Émir de la mer qui parcourait la galerie extérieure ou suivait la longueur de la coursie, de la poupe à la proue. Il avait l’air, sous son triple turban immaculé et sa longue gandourah de soie blanche, frangée d’argent, d’un cygne humain, prêt à s’envoler.

Le reïs au pied du grand mât, les marins de quart assis sur le pont, les passagers, par leur porte entr’ouverte, regardaient de loin sa silhouette, debout sur la rambarde où il s’immobilisait dans une rêverie qui ne finissait plus. C’est que depuis les premières heures de la navigation, ce n’était plus un secret pour personne que l’Émir Daoud ne jouissait plus de toute sa raison.

Cela avait commencé, disait-on, au moment de la mort de la princesse Khadidja. Pourtant l’Émir