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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/306

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LA LUXURE DE GRENADE

trentaine. Caricatures jaunies, maigries par l’air fétide des prisons, sous l’énorme coroza jaune, les yeux exorbités par la terreur, par la rage ou le désespoir, les membres disloqués par la torture, ils avaient l’air de fantoches abominables sortis d’un royaume de cauchemars. Ceux qui s’étaient repentis dans les supplices, joignaient les mains et tournaient vers le crucifix des Dominicains des visages hypocritement reconnaissants. Les courageux impénitents espéraient la mort avec ardeur et cherchaient des yeux le bûcher libérateur.

Derrière Almazan, entre deux Familiers était une femme de Triana, jeune et assez belle, que l’on allait brûler pour sorcellerie. Elle avait des seins lourds et mouvants que l’on voyait sous sa robe et une figure animale qui fit frissonner de convoitise les soldats de la Sainte-Hermandad. L’un d’eux laissa tomber sa hallebarde qui fit, sur les pavés, un fracas métallique.

La femme de Triana, comme si elle répondait à un appel, se dressa, se tordit, convulsée d’hystérie et d’une voix déchirante, jamais entendue, extrahumaine et singulièrement sonore, cria :

— Jésus-Christ ! Jésus-Christ ! sauve-moi !

Et le mystère du son de la voix troubla ceux qui l’entendirent au point que beaucoup regardèrent à droite et à gauche pour voir si Jésus-Christ n’allait pas apparaître.

Quelqu’un se précipita pour enfoncer un bâillon dans la bouche profératrice d’invocation. Mais à ce moment, au signal donné par la maîtrise de la Chapelle royale, tous les Ordres, toutes les Confréries,