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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/308

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LA LUXURE DE GRENADE

l’autre de souffrance. Mais à présent, il n’y avait plus de fumée de brasero, il n’y avait plus de tentation de trahir. Le soleil de la mort venait de se lever, dissipant en lui la crainte, le désir de la vengeance, les remords. Ce peuple ne pouvait plus l’effrayer. Il avait même pitié de lui.

Il s’exaltait intérieurement au milieu du tumulte. Il revoyait le passé depuis les jours de sa jeunesse. Sa vie était bien ainsi. Il avait chéri l’esprit et il était tombé dans le piège de la chair. Il avait livré la bataille que chaque homme doit livrer en lui-même et il avait été vaincu. Mais qu’importait ! l’expérience demeurait acquise pour son âme. Il avait d’autres vies à vivre et il triompherait dans celles-là. Il allait franchir la porte de feu qui y conduisait.

Au tournant d’une rue, la partie du cortège où il était s’arrêta. Une planche d’un chariot qu’il n’avait pas vu, devant lui, avait cédé et les livres entassés sur ce chariot s’étaient répandus dans la rue et l’obstruaient.

C’étaient des livres arabes et hébreux qui étaient condamnés comme lui à être brûlés publiquement. Des Familiers de l’Inquisition, jetant leur bâton d’ébène et d’argent, les prenaient à pleins bras et les lançaient en tas dans le chariot. Almazan distingua de délicates enluminures, des caractères que de savants calligraphes avaient mis des années à reproduire sur le parchemin. Il lut des titres sur les reliures d’or :

— « L’alchimie du bonheur », de Gazali. « Le guide des égarés », de Maïmonide. Ah ! le poète Attar, le mystique Ibn Arabi et Khayam et tous les autres !