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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/59

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LA LUXURE DE GRENADE

de chose. Tu le sais aussi bien que moi. Sois franc. Tu te moques pas mal à cette heure des effets des poisons sur un vieil homme qui est mort. Et tu as raison. Tu ne songes qu’à la joie d’un jeune homme qui est vivant…

Almazan allait protester. Le vieux médecin l’arrêta. Il était sûr de son fait.

— Comme tu as de la chance ! Tu gagnes trente années sur moi. Il m’a fallu tout ce temps pour m’apercevoir que le plaisir était la seule certitude. Quand j’avais ton âge, j’avais une foi si grande que Je me serais fait brûler par plaisir pour n’importe quelle idée qui m’était chère. Jusqu’à devenir dément, j’adorais la race juive, la science, le Messie. Le Messie ! J’y ai cru de toute mon âme. Quand l’astrologue Avenar annonça qu’il apparaîtrait à minuit, le 2 mars 1467, je me rappelle que j’avais une si grande ivresse spirituelle que j’avais de la peine à m’empêcher de danser. Je jeûnai et priai trois jours pour être digne de le recevoir parce que je ne doutais pas que ce fût dans ma maison qu’il vînt d’abord. Tous les Juifs du quartier de Santa-Cruz avaient laissé leurs portes ouvertes et je voyais dans la nuit tranquille leurs visages crédules sous leurs bonnets noirs. Moi aussi, j’avais laissé ma porte ouverte. Eh bien ! quand minuit sonna à la Giralda qui crois-tu qui pénétra chez moi ? Une pauvre prostituée que des alguazils poursuivaient pour je ne sais quel méfait. Je la cachai et je la fis coucher dans mon lit pendant que je continuais à attendre sur mon seuil. Au matin, je scrutai anxieusement l’aurore et le quartier de Santa-Cruz était plein de bonnets carrés qui se