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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/79

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LA LUXURE DE GRENADE

visible d’un corps qui n’a pas été fait pour la beauté.

Et Khadidja entraîna l’Émir Daoud, montrant à l’horizon le croissant de la lune, avec une crainte feinte, sans même daigner jouir de l’expression de rage qui se répandit sur le visage d’Aïxa.

Et comme elle longeait une terrasse qui aboutissait à une des portes du Généralife, elle s’arrêta soudain et saisit le bras de l’Émir Daoud. Cette familiarité était rare chez elle et elle remplit celui-ci d’orgueil.

Le poète a peut-être raison, pensa-t-il. Les paroles d’amour sont comme des flèches lancées par un chasseur. Le cerf qui les a reçues continue à courir et l’on ne sait pas tout de suite que la blessure est mortelle.

La terrasse surplombait de haut un des jardins où étaient plantées toutes les variétés de roses de la terre. Cela faisait un ruissellement, un amoncellement de couleurs diverses. Il y avait les roses violettes de Perse ; les roses cannelles qui sont laiteuses et grasses, les roses capucines qui s’inclinent comme des urnes rouillées et les roses du Bengale qui sont de la couleur de la chair au point que lorsqu’elles sont effeuillées et jonchent le sol on dirait que des jeunes filles nues se sont couchées les unes auprès des autres pour dormir.

Au milieu de cet éblouissement de roses, sur le sable d’une allée, était assis le sultan Abul Hacen. Il avait écarté sa robe de soie rose et défait ses larges pantalons du même rose tendre, qu’il portait dans l’espoir de paraître plus jeune, et il étalait une plaie qu’il avait sur la cuisse. Il soignait cette plaie en