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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/103

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l’abri de l’intervention des logiciens et des psychologues, des métaphysiciens et des épistémologistes, sans parler des théosophes, des astrologues modernes, des partisans de la « Christian Science », qui croient également avoir leur mot à dire. Et, enfin, nous devons citer les psychanalystes, ces derniers venus, qui prétendent nous enseigner que le mythe ne représente pas autre chose qu’un rêve diurne de la race et qu’il n’est possible de l’expliquer qu’en tournant le dos aussi bien à la nature qu’à l’histoire et à la culture, pour descendre dans les marais du subconscient, au fond duquel se trouvent relégués tous les accessoires et symboles de l’exégèse psychanalytique courante. Il résulte de tout cela que lorsque le pauvre anthropologiste et folk-loriste se présente enfin à la fête, il trouve à peine quelques miettes à glaner.

Si j’ai réussi à donner une impression de chaos et de confusion, à inspirer un sentiment de méfiance à l’égard de l’incroyable controverse mythologique, j’ai atteint le but que je m’étais proposé. Ce but consiste à inviter les lecteurs à se détourner des travaux en chambre close auxquels se livrent les théoriciens, pour sortir à l’air libre qu’on respire sur le terrain des recherches anthropologiques et revivre avec moi en esprit les années que j’ai passées dans une tribu mélanésienne de la Nouvelle-Guinée. Pagayant sur la lagune, observant les indigènes pendant qu’ils s’adonnaient sous un soleil ardent à leurs travaux de jardinage, les suivant à travers les sentiers de la jungle, les plages tortueuses et les rochers, nous apprendrons à connaître leur vie. Et c’est en assistant à leurs cérémonies, dans la fraîcheur de la fin du jour ou les ombres du soir, en partageant leurs repas, qu’ils prennent autour du feu, que nous aurons l’occasion d’entendre leurs histoires.

C’est que l’anthropologiste (et on ne peut en dire autant de ceux qui participent aux controverses portant sur la mythologie) possède l’avantage unique de pouvoir se réfugier auprès du sauvage, toutes les fois où il sent que ses théories menacent de tourner court et que le flot de son éloquence démonstrative menace de s’épuiser. L’anthropologiste se trouve dans une situation telle que les résultats de ses recherches ne dépendent pas de quelques maigres restes culturels, de tablettes brisées, de textes effacés ou d’inscriptions fragmentaires. Il n’a pas besoin, pour combler d’immenses lacunes, de recourir à des commentaires