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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/104

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volumineux, mais conjecturaux. Le faiseur de mythes est là, à sa portée. Il n’a pas seulement la possibilité d’enregistrer un texte, tel qu’il s’est conservé, avec tous ses détails et toutes ses variations, et de le soumettre à de multiples épreuves et vérifications : il trouve encore, pour le rétablir dans son sens intégral et authentique, une foule de commentateurs prêts à le seconder. Mais il y a plus : il a devant ses yeux, dans toute sa plénitude, la vie même d’où le mythe est né. Et, ainsi que nous le verrons plus loin, ce contexte fourni par la vie nous apprend autant sur le mythe que le récit lui-même.

Le mythe, tel qu’il existe dans une communauté sauvage, c’est-à-dire dans sa forme primitive, n’est pas seulement une histoire qu’on raconte, mais une réalité vécue. Il n’est pas une simple fiction du genre de celles qu’on trouve dans les romans modernes, mais une réalité vivante, parce qu’on croit que les événements sur lesquels il porte se sont produits dans un passé lointain et continuent à exercer leur influence sur le monde et les destinées humaines. Ces mythes sont pour le sauvage ce que sont, pour le chrétien profondément croyant, les mythes de la création, du péché originel, de la Rédemption par le sacrifice du Christ sur la croix. Tout comme nos histoires sacrées, les mythes des sauvages survivent dans leur rituel, dans leur morale, dominent leurs croyances et règlent leur conduite.

La limitation de l’étude des mythes au simple examen des textes a été fatale à la compréhension exacte de leur nature. Les mythes de l’antiquité classique, des anciens livres sacrés de l’Orient et d’autres sources analogues sont parvenus jusqu’à nous sans le contexte de la foi vivante, sans que nous soyons à même d’obtenir des commentaires de la part de vrais croyants, sans nous apporter en même temps une connaissance de l’organisation sociale, de la morale pratique et des coutumes populaires qui étaient leurs corollaires ou, tout au moins, sans ces amples informations que les recherches modernes de plein air permettent de recueillir. Il est certain, en outre, que dans leur forme actuelle, tous ces récits ne nous sont parvenus qu’après avoir subi des transformations considérables de la part de scribes, de commentateurs, de prêtres savants, de théologiens. Si en étudiant un mythe encore vivant, on veut saisir le secret de sa vie, il faut