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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/105

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remonter à la mythologie primitive, c’est-à-dire à une époque où il n’a pas encore été momifié par la science des prêtres et enfermé dans le reposoir indestructible, mais incompatible avec la vie, des religions mortes.

Lorsqu’on l’étudie dans sa réalité vivante, le mythe, ainsi que nous le verrons, apparaît, non comme une production symbolique, mais comme une expression directe du sujet sur lequel il porte. Il n’a rien d’une explication destinée à satisfaire l’intérêt scientifique, mais constitue une résurrection narrative d’une réalité ancienne, destinée à satisfaire de profonds besoins religieux, des aspirations morales, à appuyer des exigences et des revendications sociales, voire à venir en aide à des nécessités pratiques. Dans la civilisation primitive, le mythe remplit une fonction indispensable : il exprime, rehausse et codifie les croyances ; il sauvegarde et favorise la morale ; il garantit l’efficacité du rituel et contient des règles pratiques pour la conduite de l’homme. Le mythe constitue donc un ingrédient vital de la civilisation humaine ; il n’est pas un conte oiseux, mais une force active d’un poids considérable ; et loin d’être une explication rationnelle ou une imagerie artistique, il représente une charte pragmatique de la foi et de la sagesse morale primitives.

J’essaierai de fournir la preuve de toutes ces propositions par l’étude de divers mythes ; mais pour que notre analyse soit vraiment probante, il me paraît nécessaire de donner d’abord une description non seulement du mythe, mais aussi du conte populaire, de la légende et des souvenirs des événements du passé.

Transportons-nous, en esprit, sur les rives d’une lagune trobriandaise[1] et mêlons-nous à la vie des indigènes, en assistant

  1. Les îles Trobriand forment un archipel de corail, situé au nord-est de la Nouvelle-Guinée. Les indigènes de ces îles appartiennent à la race papou-mélanésienne et offrent, par leur apparence physique, leur structure mentale et leur organisation sociale, une combinaison de caractères océaniques et de quelques traits caractéristiques de la culture papoue, plus arriérée, qu’on trouve dans la partie continentale de la Nouvelle-Guinée. On trouvera une description complète des races du nord de la Nouvelle-Guinée, dont les Trobriandais ne forment qu’une subdivision, dans le traité de C. G. Seligman, Melanesians of British New Guinea (Cambridge, 1910). L’auteur de cet ouvrage fait ressortir les rapports qui existent entre les Trobriandais et les autres races et civilisations disséminées dans la Nouvelle-Guinée et alentour. Voir aussi notre ouvrage : La vie sexuelle des sauvages du Nord-Ouest de la Mélanésie ; édition française, Payot, Paris.