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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/106

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à leurs travaux et à leurs jeux, en écoutant leurs histoires. Le temps humide s’installe à la fin de novembre. Il n’y a plus alors grand’chose à faire dans les jardins, la saison de pêche n’est pas encore tout à fait commencée, les expéditions d’outre-mer sont suspendues jusqu’à nouvel ordre, tandis que les dispositions joyeuses, suscitées par les fêtes et les danses de la moisson, persistent toujours. La sociabilité est dans l’air, on dispose de tout son temps et l’humidité oblige souvent les gens à rester chez eux. Entrons au crépuscule dans un de leurs villages et asseyons-nous auprès du feu, dont la lumière flambante attire des gens dont le nombre augmente, à mesure que la soirée avance. Des conversations s’engagent. À un moment donné, on prie quelqu’un de l’assistance de raconter une histoire, car c’est la saison des contes de fées. S’il est bon conteur, il ne tardera pas à provoquer des rires, des ripostes, des interruptions et son récit finira par se développer en une véritable « performance ».

À cette époque de l’année, on raconte généralement dans les villages des contes populaires d’un type spécial, appelés kukwanebu. Il existe une vague croyance, que personne d’ailleurs ne prend très au sérieux, que la récitation des contes exerce une influence favorable sur la récolte des produits récemment plantés dans les jardins. Pour obtenir cet effet, on doit toujours réciter à la fin une brève chanson, dans laquelle allusion est faite à quelques plantes sauvages très fertiles : c’est la kasiyena.

Chaque histoire est la propriété d’un membre de la communauté. Chaque histoire a beau « être connue de plusieurs autres membres », elle ne doit être récitée que par son « propriétaire » ; il peut cependant en faire cadeau à une autre personne, en la lui apprenant et en l’autorisant à la réciter après lui ou à sa place. Mais tous les « propriétaires » ne possèdent pas le talent de provoquer le fou rire, ce qui constitue le principal but de ces histoires. Un bon conteur doit savoir changer sa voix au cours d’un dialogue, chanter ses chansons avec un certain tempérament, gesticuler, bref il doit savoir jouer devant la galerie. Certains de ces contes sont de véritables histoires « de fumoir ». Quant aux autres, pour en donner une idée, j’en citerai quelques exemples.

Il s’agit d’une jeune fille en détresse et de son sauvetage héroï-