Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/123

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tones » au sens littéral du mot et mythologique, tel que l’entendent les indigènes) sont incapables d’opposer une résistance aux membres d’un sous-clan de rang élevé qui ont pris la décision d’aller s’établir dans une nouvelle localité. Pour les cas de ce genre, on a créé une catégorie spéciale d’histoires mythologiques, faites pour justifier ces situations anormales et en rendre compte par des raisons ad hoc. La force des principes mythologiques et juridiques se manifeste dans le fait que les mythes justificatifs contiennent des points de vue et des faits antagonistes et irréconciliables, en cherchant toutefois à voiler ou à atténuer leur opposition à l’aide d’un incident manifestement inventé pour les besoins de la cause. L’étude des histoires de ce genre est extrêmement intéressante, et cela pour deux raisons : en premier lieu, elle nous permet de pénétrer assez profondément dans la psychologie des indigènes, pour autant qu’il s’agit de leur attachement à la tradition ; en deuxième lieu, elle nous incite à reconstituer l’histoire passée de la tribu. Disons seulement qu’on ne doit céder à cette dernière tentation qu’en s’entourant de beaucoup de précautions et dans un état d’esprit très sceptique.

On constate chez les Trobriandais que plus le rang d’un sous-clan totémique est élevé, plus grand est son pouvoir d’expansion. Citons des faits d’abord, et essayons de les interpréter ensuite. Le sous-clan du rang le plus élevé, celui de Tabalu, du clan Malasi, règne aujourd’hui sur un certain nombre de villages : Omarakana, qui est le village-capitale ; Kasanayi, village jumeau de la capitale ; Olivilevi, village fondé trois « règnes » auparavant, après une défaite subie par la capitale. Deux villages, Omlamwaluwa, aujourd’hui déchu, et Dayagila, qui ne sont plus gouvernés par les Tabalu, leur avaient appartenu jadis. On trouve le même sous-clan, portant le même nom et se réclamant de la même ascendance, mais n’observant pas tous les tabous de distinction et n’ayant pas le droit de porter tous les insignes, à la tête des villages d’Oyweyova, Gumilabala, Kavataria et Kadawaga, tous situés dans la partie occidentale de l’archipel, le dernier de ces villages sur la petite île Kayleula. Le village de Tukwa’ukwa n’est passé que récemment, depuis environ cinq « règnes », sous la souveraineté des Tabulu. Enfin, un sous-