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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/126

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briand, le père cherche toujours, par affection personnelle, à les retenir auprès de lui-même après leur puberté, et la communauté l’y encourage, car s’ils restent dans la communauté ils ne pourront que contribuer à rehausser son prestige. La majorité désire qu’ils restent ; et la minorité, qui se compose des héritiers légaux du chef, c’est-à-dire de ses frères et des fils de ses sœurs, n’ose pas s’y opposer. Aussi bien, si les fils de rang élevé n’ont aucune raison spéciale de retourner dans le village dont ils sont membres de droit, c’est-à-dire dans celui de leur mère, ils restent dans la communauté du père et y exercent le pouvoir souverain. S’ils ont des sœurs, celles-ci peuvent également rester, se marier dans le village et fonder ainsi une nouvelle dynastie. Peu à peu, ils s’approprient les privilèges, les dignités et les fonctions qui avaient jusqu’alors appartenu au chef local. Ils reçoivent le titre de « maîtres » du village et de ses terres, président tous les conseils, se prononcent dans toutes les affaires communales qui exigent une décision et assument surtout le contrôle des monopoles et de la magie locaux.

Tous les faits que je viens de citer sont d’observation purement empirique. Voyons maintenant les légendes qui s’y rattachent. D’après l’une d’elles, deux sœurs, Botabalu et Bonumakala, ont émergé du creux primitif, près de Laba’i. Elles se rendirent aussitôt dans le district central de Kiriwina et s’établirent toutes deux à Omarakana. Elles y furent saluées par la femme de l’endroit au nom de la magie locale et de tous les droits, ce qui équivalait à une sanction mythologique de leurs prétentions sur la capitale (c’est là un point sur lequel nous aurons encore à revenir). Au bout d’un certain temps, une querelle éclata entre les deux sœurs à propos de quelques feuilles de bananier, de celles qui fournissent les belles fibres servant à la confection des jupes. L’aînée des sœurs ordonna alors à la plus jeune de s’en aller, ce qui est considéré par les indigènes comme une grave injure. Elle dit : « Je resterai ici et observerai tous les tabous les plus rigoureux. Et toi, va-t’en manger du porc de la brousse, du poisson katakayluva. » Telle est la raison pour laquelle les chefs des districts côtiers, tout en étant en réalité de même rang, n’observent pas les mêmes tabous que les autres. Les indigènes des villages côtiers racontent la même