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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/132

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cache, ces incompatibilités, sont le plus souvent d’un caractère fictif. Nous avons déjà vu certains mythes varier selon la localité dans laquelle ils ont cours. Dans d’autres cas, les incidents servent à affirmer des revendications et des droits non existants.

L’application du point de vue historique à l’étude des mythes est donc intéressante, en ce qu’elle montre que le mythe, envisagé dans son ensemble, ne représente pas une histoire froide et dépourvue de passion, puisqu’il est toujours créé exprès, pour remplir une certaine fonction sociologique, pour glorifier un certain groupe ou pour justifier un état de choses anormal. Ces considérations nous montrent également que dans l’esprit de l’indigène l’histoire pure, la légende mi-historique et le mythe pur empiètent les uns sur les autres, forment une suite continue et remplissent en réalité la même fonction sociologique.

Ceci nous ramène une fois de plus à ce que nous avons dit au début, à savoir que le seul élément réellement important du mythe réside en ce qu’il se rapporte à une réalité vivante, à la fois rétrospective et actuelle. Pour l’indigène il n’est ni une histoire imaginaire ni un récit se rapportant à un passé mort, mais le tableau d’une réalité plus vaste, qui subsiste encore en partie. Elle subsiste, parce que tous les précédents dont l’indigène peut se réclamer, ses lois, sa morale, se trouvent formulés dans le mythe. Il est évident que le rôle fonctionnel du mythe s’exalte dans les cas de tension sociologique, lorsqu’éclatent des différends portant sur des questions de rang et de puissance, de préséance et de subordination, et certainement lorsque se produisent de profondes transformations historiques. Voilà ce qu’on peut affirmer comme un fait, bien qu’on soit toujours en droit de se demander jusqu’à quel point on peut conduire la reconstitution historique en partant du mythe.

Nous pouvons certainement écarter toutes les interprétations explicatives ou symboliques du mythe. Les personnages et les êtres qui y figurent sont tels qu’ils apparaissent extérieurement, et non des symboles de réalités cachées. Quant à la fonction explicative de ces mythes, elle ne répond à aucun problème, ne satisfait aucune curiosité, ne contient aucune théorie.