Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/134

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pas ; effrayée, elle lui ordonna de s’en aller. La vieille femme, mortifiée et furieuse, retourna à l’endroit où elle avait pris son bain, rechercha sa vieille peau, la remit et revint de nouveau auprès de sa petite-fille. Cette fois celle-ci la reconnut et la salua ainsi : « Une jeune fille est venue ici ; effrayée, je la chassai. » La grand’mère répondit : « Non, vous ne m’avez pas reconnue. Eh bien, vous deviendrez vieille, et moi, je vais mourir. » Elles revinrent à la maison où la fille était en train de préparer le repas. La vieille femme dit à sa fille : « J’étais allée me baigner ; le courant avait emporté ma peau ; votre fille ne m’a pas reconnue ; elle m’a chassée. Je ne me dépouillerai plus de ma peau. Nous deviendrons tous vieux. Nous mourrons tous. »

À partir de ce jour les hommes ont perdu la faculté de changer de peau et de rester jeunes. Les seuls animaux ayant gardé la faculté de changer de peau sont les animaux « d’en dessous » : serpents, crabes, iguanes, lézards. Et cela parce que les hommes ont autrefois également vécu sous terre. Ces animaux sont venus à la surface et continuent à pouvoir changer de peau. Si les hommes avaient commencé par vivre à la surface, les « animaux de surface », oiseaux, renards volants, insectes, seraient également capables de changer de peau et de recouvrer la jeunesse.

Ici se termine le mythe, tel qu’il est généralement raconté. Parfois les indigènes y ajoutent d’autres commentaires, en traçant des parallèles entre les esprits et l’humanité primitive ; parfois ils insistent sur les causes de la régénération des reptiles ; d’autres fois, ils se bornent à raconter, sans commentaires, l’incident de la peau perdue. En soi, cette histoire est banale et sans importance ; et telle elle est de nature à paraître à ceux qui ne se donnent pas la peine de l’étudier à la lumière des idées, des rites et des coutumes se rattachant à la mort et à la vie future. Il est évident que ce mythe ne fait que développer et dramatiser une croyance, d’après laquelle les hommes auraient jadis possédé la faculté de rajeunissement, qu’ils ont perdue dans la suite.

C’est ainsi que, comme conséquence d’un conflit entre une grand’mère et sa petite-fille, les êtres humains, sans exception aucune, se trouvent assujettis à la déchéance et à la débilité qu’amène la vieillesse. Ceci n’implique cependant pas toutes les