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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/142

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Pendant la fête annuelle de milamala, les esprits reviennent de Tuma dans leurs villages. On érige une plate-forme spéciale, élevée, sur laquelle ils puissent s’asseoir et du haut de laquelle ils puissent suivre les jeux et amusements de leurs frères. On étale de la nourriture en grandes quantités, afin de réjouir leurs cœurs, ainsi que ceux des citoyens vivants de la communauté. Pendant la journée, des objets précieux sont exposés sur des nattes, placés devant la cabane du chef et celles de gens importants et riches. On observe dans le village un certain nombre de tabous, afin d’épargner toute injure aux esprits invisibles. On ne doit pas verser des liquides chauds qui pourraient brûler les esprits, comme a été brûlée la vieille femme dont parle le mythe. Nul indigène ne doit se tenir assis, couper du bois à l’intérieur du village, jouer avec des lances ou des bâtons, lancer des projectiles, afin de ne pas blesser un Baloma, un esprit. Les esprits, de leur côté, manifestent leur présence par des signes favorables ou défavorables, expriment leur satisfaction ou leur mécontentement. Les odeurs désagréables leur causent un léger ennui ; tandis que le mauvais temps, les accidents et les dommages à la propriété les mettent sérieusement de mauvaise humeur. Dans des occasions pareilles, de même que lorsqu’un médium important entre en état de transe ou que quelqu’un est en train de mourir, le monde des esprits apparaît aux indigènes très proche et réel. Il est évident que le mythe s’intègre dans ces croyances dont il constitue un élément inséparable. Il existe un parallélisme direct et étroit entre, d’une part, les rapports entre l’homme et l’esprit, tels que les expriment les croyances et expériences religieuses de nos jours, et, d’autre part, les divers incidents dont il est question dans le mythe. Sous ce rapport encore, le mythe peut être considéré comme l’arrière-plan le plus lointain d’une perspective qui s’étend, sans interruption, des préoccupations, craintes et chagrins personnels de l’individu à l’époque reculée à laquelle, d’après ce qu’on imagine, un fait pareil s’était produit pour la première fois, en passant par une phase intermédiaire, qui est celle de la fixation coutumière de la croyance, à la faveur d’un certain nombre de cas concrets racontés d’après l’expérience et les souvenirs personnels de générations passées.