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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/148

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la nature de la magie, nous devons donc distinguer ces trois éléments : la formule, le rite et la fonction de l’officiant. Je dirai tout de suite que dans la partie de la Mélanésie dont je m’occupe ici, l’incantation constitue l’élément le plus important de la magie. Pour les indigènes, la connaissance de la magie se réduit à celle de l’incantation ; dans tout acte de sorcellerie le rituel a pour centre l’énoncé de l’incantation. Le rite et la compétence de l’officiant sont des facteurs qui assurent la préservation et l’efficacité de l’incantation. C’est là un fait très important au point de vue qui nous occupe ici, car l’incantation magique présente des rapports étroits avec le savoir traditionnel, et surtout avec la mythologie[1].

Dans toute forme de magie on trouve une histoire destinée à rendre compte de son existence. Cette histoire raconte quand et où telle ou telle formule magique a été révélée à l’homme, comment elle est devenue la propriété d’un groupe local, comment elle a passé d’un groupe à un autre. Mais une telle histoire n’est pas celle des origines de la magie. La magie n’a pas d’ « origine » ; elle n’a jamais été créée ou inventée. Tout simplement, la magie, sous toutes ses formes, a toujours existé, depuis le commencement du monde, à titre de complément essentiel de toutes les choses et de tous les procédés qui sont d’un intérêt vital pour l’homme, mais échappent à ses efforts normaux et rationnels. L’incantation, le rite et l’objet auquel ils se rapportent sont inséparables dans le temps.

C’est ainsi que l’essence de la magie est en fonction de son intégrité traditionnelle. La magie n’est efficace que pour autant qu’elle a été transmise sans perte et sans altération d’une génération à l’autre, et cela depuis les temps les plus sauvages, jusqu’à ce qu’elle parvînt à l’officiant actuel. La magie a donc besoin d’une sorte de pedigree, d’un passeport traditionnel, dans son voyage à travers le temps. C’est à quoi pourvoit le mythe sur la magie. Un exemple concret montrera le mieux la manière dont le mythe confère à l’exécution de la magie valeur et validité et se confond avec la croyance à l’efficacité de la magie.

  1. Voir Argonauts of the Western Pacific, pp. 329, 401 et suiv. ; et pp. 69-78 de Magic, Science and Religion, dans Science, Religion and Reality, par plusieurs auteurs (1925).