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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/149

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L’amour et l’attraction qu’exercent les uns sur les autres les représentants des deux sexes jouent, nous le savons déjà, un rôle important dans la vie de ces Mélanésiens. Comme tant d’autres races des mers du Sud, ils se conduisent d’une façon très libre et indépendante, surtout avant le mariage. L’adultère est cependant considéré comme une offense punissable, et les rapports sexuels entre membres du même clan totémique sont rigoureusement interdits. Mais l’inceste sous toutes ses formes constitue, aux yeux des indigènes, le plus grave des crimes. La simple idée de la possibilité de rapports entre frère et sœur leur inspire la plus violente horreur. Le frère et la sœur qu’unissent les liens les plus intimes dans cette société matriarcale ne doivent jamais converser librement entre eux, jamais plaisanter ensemble ou se sourire l’un à l’autre, et toute allusion à l’un d’eux en présence de l’autre est considérée comme étant de très mauvais goût. Mais en dehors du clan la liberté est grande, et la poursuite de l’amour assume des formes intéressantes, et même attrayantes.

L’attraction sexuelle et le pouvoir de séduction résident, croit-on, dans la magie de l’amour. Les indigènes rattachent cette magie à un événement dramatique du passé qui est raconté dans un mythe étrange et tragique que je ne puis mentionner que brièvement ici[1]. Un frère et une sœur vivaient dans un village avec leur mère, et la jeune fille aspira accidentellement une forte décoction d’amour que son frère avait préparée pour une autre. Folle de passion, elle le poursuivit et le séduisit sur une plage solitaire. Pleins de honte et de remords, ils renoncèrent à la nourriture et à la boisson et moururent ensemble dans une grotte. Une plante aromatique poussa sur leurs cadavres enlacés, et cette herbe forme l’ingrédient le plus puissant parmi les substances qui entrent dans la composition du philtre de l’amour.

On peut dire que, dans une mesure plus grande que les autres mythes des sauvages, le mythe de l’amour justifie les préten-

  1. Voir un exposé complet de ce mythe dans notre ouvrage Sex and Repression in Primitive Society, 1926 (La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives ; la traduction de cet ouvrage forme le premier Essai du présent livre).