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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/151

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C’est l’étude d’histoires de ce genre qui pourrait faire comprendre pourquoi le mythe, dans certaines de ses formes, appelle tout naturellement une élaboration littéraire subséquente, tandis que d’autres sont condamnées à rester stériles au point de vue artistique. Les questions de préséance sociologique, de légalité de titres, les revendications de parenté familiale et l’affirmation de droits locaux n’ont que des rapports éloignés avec le domaine des émotions humaines et manquent pour cette raison de ce qui confère à une œuvre une valeur littéraire. En revanche, la croyance, magique ou religieuse, est étroitement associée aux désirs les plus profonds de l’homme, à ses craintes et espoirs, à ses passions et sentiments. Des mythes comme ceux relatifs à l’amour et à la mort, des histoires où il est question de la perte de l’immortalité, de la disparition de l’âge d’or et de l’expulsion du Paradis ou des mythes concernant la sorcellerie et l’inceste portent sur les éléments mêmes qui entrent dans les formes artistiques de la tragédie, de la poésie lyrique, du roman. Notre théorie, celle de la fonction culturelle du mythe, qui insiste sur les liens intimes qui le rattachent à la croyance et fait ressortir les rapports étroits qui existent entre le rituel et la tradition, est également de nature à faire entrevoir les possibilités littéraires des histoires dont se nourrissent les sauvages. Tout tentant que soit ce sujet, il bous est malheureusement impossible de le traiter ici.

Nous avons fait ressortir plus haut (chap. I) l’inconsistance et l’insuffisance de deux théories, assez en faveur aujourd’hui, concernant la nature et l’origine des mythes : celle d’après laquelle le mythe serait une description rhapsodique des phénomènes de la nature, et la théorie d’Andrew Lang, qui voit, surtout dans le mythe un effort d’explication, une sorte de science primitive. Il semble ressortir de ce que nous avons dit, dans les chapitres qui précèdent, que ni l’une ni l’autre de ces attitudes ne jouent un rôle considérable dans les civilisations primitives ; que ni l’une ni l’autre ne sont de nature à nous fournir une explication des histoires sacrées des peuples primitifs, de leur contexte sociologique, de leur fonction culturelle. Mais dès l’instant où l’on admet que le mythe sert principalement à établir une charte sociologique, à justifier rétrospective-