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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/152

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ment un certain code de conduite morale, à attester la réalité du miracle primitif et suprême de la magie, il devient évident qu’on doit trouver dans les légendes sacrées aussi bien un effort d’explication que des manifestations d’un certain intérêt pour la nature. Un antécédent rend en effet compte des cas subséquents, bien que, dans l’esprit des primitifs, cela se fasse à la faveur d’un ordre d’idées totalement différentes des rapports scientifiques de cause à effet, de mobile à conséquence. Quant à l’intérêt pour la nature, il existe incontestablement : il suffit, pour s’en convaincre, de se rappeler l’importance qui s’attache à la mythologie de la magie, ainsi que les liens de dépendance étroite qui existent entre la magie et les occupations économiques de l’homme. Mais du fait que la mythologie s’intéresse à la nature, on aurait tort de conclure qu’elle ne représente qu’une rhapsodie désintéressée et contemplative, inspirée par les phénomènes de la nature. Deux facteurs en effet s’interposent entre le mythe et la nature : l’intérêt pragmatique de l’homme pour certains aspects du monde extérieur et le besoin qu’il éprouve de posséder un moyen lui permettant d’exercer sur certains phénomènes un contrôle supplémentaire, rationnel et empirique : ce moyen lui est fourni par la magie.

Je rappellerai une fois de plus que je me suis occupé dans ce livre des mythes des peuples sauvages, et non de ceux des peuples civilisés. J’estime que l’étude de la mythologie, telle qu’elle existe et fonctionne dans les sociétés primitives, doit précéder celle des mythologies qui caractérisent les civilisations plus avancées et qu’avant de tirer des conclusions des matériaux relatifs à celles-ci, on fera bien de se référer aux données établies par l’anthropologie. Quelques-uns de ces matériaux ne nous sont parvenus qu’à l’état de textes littéraires isolés, sans leur contexte social, sans aucune indication quant à leurs rapports avec la vie réelle. Tel est le cas de la mythologie des peuples de l’antiquité classique et de celle des civilisations orientales disparues. C’est pourquoi le savant qui étudie l’antiquité classique a beaucoup à apprendre de l’anthropologie.

Quant aux mythologies des grandes civilisations encore existantes, telles que les civilisations de la Chine, du Japon, de l’Inde et, last but not least, la nôtre, leur étude ne peut que gagner