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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/153

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à une confrontation, à une comparaison avec le folk-lore primitif. Et, à son tour, l’étude des grandes civilisations peut fournir des données permettant de mieux comprendre la mythologie des sauvages, d’obtenir une explication plus adéquate de certains de ses aspects. C’est là une question qui dépasse le cadre de cet ouvrage, mais je tiens à insister sur le fait que l’anthropologie doit être considérée non seulement comme une étude des coutumes des sauvages à la lumière de notre mentalité et de notre culture, mais aussi comme une étude de notre propre mentalité à travers la lointaine perspective s’étendant à l’âge de pierre. En séjournant mentalement pendant quelque temps au milieu d’un peuple appartenant à une culture plus souple que la nôtre, nous acquérons la possibilité de nous voir nous-mêmes à distance et d’appliquer à nos propres institutions, coutumes et croyances, des critères nouveaux, différents de ceux dont nous avions l’habitude d’user. Et l’anthropologie aurait déjà le droit de prétendre au rang d’une grande science, si elle réussissait seulement à nous inculquer ces nouveaux critères, à changer notre sens des proportions, à affiner notre humour.

Après avoir terminé la revue des faits et des conclusions qui s’en dégagent, je résumerai brièvement les uns et les autres. J’ai essayé de montrer que les histoires dont se compose le folk-lore d’une communauté indigène sont inséparables du contexte culturel de la vie tribale, qu’elles vivent elles-mêmes de cette vie, au lieu d’être des récits purs et simples. Je veux dire par là que les idées, émotions et désirs associés à une histoire donnée sont évoqués, non seulement au moment même où cette histoire est racontée, mais aussi par certaines coutumes et règles morales ou par certains rites qui forment pour ainsi dire sa contre-partie, la réalisation effective du sujet sur lequel elle porte. À ce point de vue, on constate une grande différence entre les diverses catégories d’histoires. Alors que dans le simple conte du coin du feu le contexte sociologique se trouve réduit au minimum, la légende pénètre déjà davantage dans la vie tribale de la communauté, et le mythe joue un rôle tout à fait important. Le mythe, qui postule une réalité primitive se perpétuant jusqu’à nos jours et constitue une justification par des précédents, fournit un modèle rétrospectif de valeurs morales,