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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/169

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qui est déjà par elle-même une magnifique mélodie, produit, lorsqu’elle est chantée par toute une communauté, un effet singulièrement impressionnant. On dirait que le chant funèbre, si richement dramatique, surgissant du fond du cœur humain, a pour but de porter l’esprit du défunt vers le repos qui lui est assigné, de l’accompagner d’un dernier adieu, d’annoncer au monde tout entier la triste vérité qu’est la fragilité humaine. À la mort d’un homme important, en effet, la lamentation se répand de village en village, et bientôt toute la contrée retentit d’une expression de chagrin et de désespoir, expression qui ne manque pas de sincérité, malgré son caractère mi-hystérique, mi-histrionique : c’est l’expression de la solidarité humaine en face de la mort.

Il n’y avait pas longtemps que le chef était mort, lorsque je fis mon entrée dans la cabane, remplie d’hommes et de femmes qui étaient accourus de toutes parts dès que la nouvelle s’était répandue que le malade entrait en agonie. Pour les indigènes, la mort représente, non un fait physiologique, mais un départ progressif et involontaire de l’esprit qui hésite et peut être retenu par les prières et les désirs humains. Bien que la mort fût survenue peu de temps auparavant, les parents étaient déjà en train, selon la coutume, de caresser et de consoler le cadavre, de l’appeler, de le flatter, de le remuer. Il était recouvert d’un grand nombre de colliers, de ceintures, de bracelets, de grandes lames en pierre polie, tous objets de grande valeur, qu’on apporte toujours pour consoler le défunt et retenir son esprit. C’est comme si, en présence de ce qui représente la quintessence du pouvoir et de la richesse ici-bas, on pouvait de nouveau l’attirer sur la terre, le séduire par ce qu’elle offre de plus beau et de meilleur. On pense en outre que, pourvu de la substance spirituelle des objets précieux accumulés sur lui, il pourra faire dans l’autre monde une entrée digne de lui. Quelles que soient les sources et les racines de cette coutume, le contraste est impressionnant entre les objets grossiers, matériels qu’on impose avec tant de fureur à l’attention du mourant et l’ouverture solennelle d’une nouvelle perspective pour son esprit.

Alors que j’étais assis et que j’observais les modulations