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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/170

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de l’affliction dramatisée, qui, au bout d’un certain moment, a commencé à prendre le caractère d’une lamentation et de pleurs résignés, et après que la plupart des gens se fussent retirés, quelques hommes seulement étant restés pour nettoyer, parer et préparer le cadavre, la réalité de la croyance indigène s’imposa à mon esprit avec une force irrésistible. Elle était là, tout autour de moi, dans toutes les idées et toutes les émotions de ces gens, inspirant chacune de leurs actions, présidant aux innombrables détails de la routine traditionnelle et sacrée de l’inhumation et du deuil. L’âme de cet homme avançait maintenant sur la route droite qui conduit à la demeure des esprits, à Tuma, à ce monde si proche, si petit, si semblable à celui qu’elle venait de quitter que le fossé séparant les deux semblait moins profond, moins infranchissable, et l’autre existence semblait entourée d’un mystère moins impénétrable que ce n’est le cas chez nous.

V

Toute la journée fut remplie de préparatifs en vue de la veillée funèbre. Le soir venu, tout le village se trouva transformé en un immense camp, car pendant la nuit tous les gens d’Oburaku, ainsi que de nombreux visiteurs venus d’autres communautés, devaient veiller le mort. Sur la place centrale du village on creusa une fosse de deux mètres environ de profondeur ; dans cette fosse on déposa le cadavre, entouré de plusieurs couches de nattes épaisses et raides. Au-dessus de la fosse on disposa une couche de troncs solides, arrangés de façon à pouvoir servir de lit à la veuve. Sur cette estrade, elle devait rester couchée toute la nuit, sous une natte pliée, et séparée du cadavre de son mari par une mince couche de bois et de nattes. C’est là qu’elle devait exprimer son deuil, en poussant des gémissements assez forts et perçants pour couvrir le bruit et le tapage faits par l’assemblée, laquelle est toujours fort nombreuse et bruyante. Près et autour de la veuve étaient assises, accroupies ou couchées ses parentes, choisies d’après leur position sociale et les liens qui les rattachaient au défunt. Autour de ce noyau central se trouvait un groupe d’hommes, également rangés d’après leur