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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/171

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degré de parenté. En outre, sur toute la place étaient disséminés des groupes de gens venus d’autres villages, chaque communauté autour de son feu. Sur la périphérie de la place se tenaient des hommes ayant des devoirs spéciaux à remplir pendant la veillée, à apporter de la nourriture ou à surveiller les maisons vides.

J’étais assis avec plusieurs hommes sur une estrade qui dominait toute la scène. Je regardais les groupes mélangés de gens disséminés sur la vaste place dans les attitudes les plus variées, les énormes ombres des arbres se projetant en avant et en arrière, selon que les feux se ranimaient ou baissaient. Mais c’est le chœur de lamentations et de chants funèbres montant de tous les groupes qui formait le principal incident, la substance, pour ainsi dire, de cet événement nocturne. C’est que les gens d’autres villages, venus pour veiller, devaient exécuter un chant funèbre, que chaque communauté avait son chant et que toutes chantaient à la fois. Cette musique mélangée, vibrante et d’une ampleur fantastique, montait en vagues aériennes formant parfois des harmonies inattendues, parfois des désaccords aigus, presque à l’unisson avec les feux vacillants et les ombres qui dominaient toute la scène.

J’avais pris place dans le groupe dont faisait partie Tomwaya Lukwabulo, ayant entendu dire qu’on pouvait s’attendre de sa part, cette nuit-là, à de grandes choses. Il arrive souvent qu’immédiatement après la mort de quelqu’un l’esprit du défunt cherche à entrer en communication avec les vivants à travers un médium et à revenir à la vie avec l’aide du devin. L’homme qui venait de mourir était un grand ami de Tomwaya et tout le monde s’attendait à des événements intéressants. J’avais essayé d’échanger quelques paroles avec le médium qui était assis à mes côtés, mais il n’était pas disposé à causer ce soir-là. Il n’était pas lui-même ; il paraissait excité et murmurait des paroles ; tantôt il se contractait, tantôt il tombait dans une transe rigide ; ses yeux étaient brillants et fixes. Un groupe d’hommes assis en face de nous entonna l’un des chants que Tomwaya avait apportés du Pays des Morts.

Je voyais l’étrange excitation du visionnaire s’accentuer de plus en plus ; il se joignit au chœur des chanteurs, chantant