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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/172

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d’abord faiblement, puis avec une vigueur croissante. Soudain il se redressa et, à pleine gorge, avec une voix puissante que je ne lui avais jamais connue, il continua le chant. Le silence se fit peu à peu parmi les indigènes assemblés. Les hommes qui étaient autour le regardaient comme galvanisés, immobilisés par son aspect. Les femmes elles-mêmes cessèrent de se lamenter, la voix perçante et aiguë de la veuve s’étant tue la dernière. La voix du médium avait une intonation épaisse, charnue, une sorte d’énergie violente et exubérante, de sorte qu’on avait l’impression qu’elle était produite par une autre force que sa volonté. Après quelque temps il s’arrêta de chanter et commença à parler. Il parla de la même voix, étrange, vibrante et puissante, qui ne ressemblait pas du tout à la sienne, et dans un langage qui n’était pas la langue indigène, mais devait être celle des esprits. Il s’arrêta, puis une réponse vint par sa bouche, énoncée d’une voix tout à fait différente. Parfois on aurait cru que plusieurs voix luttaient pour s’extérioriser, ses sentences devinrent plus brèves, de plus en plus saccadées, se terminant par des sons haletants, précipités, et finalement il se laissa tomber sur l’estrade, manifestement épuisé.

C’est à ce moment-là seulement que je me rendis compte que je venais d’assister à une de ces véritables transes spirites qui avaient fait la célébrité du visionnaire. C’est seulement ensuite que j’ai appris que l’esprit de l’homme décédé avait parlé par l’intermédiaire de Tomwaya, que tous les présents avaient sans hésitation et sans contestation reconnu sa voix : c’était la voix de l’esprit du défunt, un peu plus forte et quelque peu différente de la voix qu’il avait de son vivant, mais, au fond, la même.

VI

Après que le visionnaire se laissa choir à bout de forces, la veuve se mit à pousser des lamentations désespérées ; les autres femmes qui, pendant l’interlude dramatique que je viens de relater, s’étaient groupées autour d’elle, ne tardèrent pas à joindre leurs cris aux siens.