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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/173

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Les hommes n’eurent pas le temps de reprendre leur chant, lorsqu’un cri perçant, venant de l’endroit où se trouvait la tombe, suivi d’un bruit et d’un remue-ménage général, vint interrompre la cérémonie. Je me dirigeai vers cet endroit, pour voir ce dont il s’agissait, et trouvai la veuve, soutenue par plusieurs femmes, couchée sur le bord de la tombe. D’autres femmes étaient en train d’arranger les troncs qui s’étaient affaissés. Quelques-unes se mirent à expliquer d’une façon confuse qu’immédiatement après que l’esprit eut parlé, quelque chose avait remué dans la tombe. « Le cadavre fut secoué comme par un tremblement de terre », l’estrade s’inclina de côté et la veuve tomba.

Cette fois encore, ce fut grâce à des commentaires et à des interprétations ultérieurs que j’ai pu saisir toute l’importance dramatique et me rendre compte de la révélation spirite que cet incident signifiait pour les indigènes. Ils crurent tous que l’esprit, après s’être remis en contact avec le monde par le truchement de Tomwaya Lakwabulo, essaya de revenir à la vie et de rentrer dans le corps. Le violent effort qu’il fit secoua le cadavre et ébranla l’estrade qui était au-dessus de la tombe. Aux yeux des indigènes, ce fut là la suprême confirmation de la réalité du message spirite de Tomwaya. Que l’estrade, construite à la hâte, ait pu céder sous le poids des femmes en état d’agitation qui s’y pressaient, c’était là un problème de statique que je fus le seul à envisager.

Tout cela impressionna profondément les indigènes. Les gémissements et les chants cessèrent pendant quelque temps. Les conversations à voix basse, sérieuses et agitées, s’engagèrent à l’intérieur des groupes, des paroles furent échangées d’un groupe à l’autre, et toute l’assemblée communia dans la même émotion profonde. Puis, peu à peu, les lamentations recommencèrent et les hommes reprirent leurs sens et, en se maîtrisant davantage, parce que plus fatigués, recommencèrent le grand choral.

Mais il devait être interrompu une fois de plus. Nous entendîmes, venant d’un point éloigné du village, un cri aigu, puis un autre, puis d’autres encore, et dans le silence qui suivit nous perçûmes un bruit de pas se dirigeant vers nous et nous vîmes apparaître un groupe de jeunes filles qui se mirent à expliquer