Aller au contenu

Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque chose avec excitation. La nièce et plusieurs autres jeunes filles s’étaient rendues dans la maison du défunt, pour chercher de l’eau ou des noix de coco vertes. Comme elles essayaient de délier la porte, elles entendirent des bruits, analogues à ceux que produisent des objets qui tombent, ainsi qu’un bruit étrange de lutte à l’intérieur de la cabane. Lorsqu’elles ouvrirent la porte, elle fut rejetée en arrière avec une telle violence qu’une des jeunes filles tomba, tandis que les autres furent repoussées et s’enfuirent en proie à la terreur.

Il est certain que la tension nerveuse et l’atmosphère excitante de cette nuit expliquent en partie l’incident. Mais il se peut aussi que la cabane ait été occupée à ce moment-là par des locataires non autorisés. C’est qu’une veillée mortuaire constitue, par un des étranges caprices de la coutume, une occasion propice aux exploits amoureux. Les visiteuses inattendues ont pu se heurter à un épisode qui n’avait rien de spirituel et être effrayées par des faits qui n’avaient rien de surnaturel. Mais les indigènes étaient convaincus que tout cela était dû au Kousi, ou esprit secondaire, d’une nature plus grossière et plus matérielle qui, pendant quelques nuits après la mort de quelqu’un, joue aux gens toutes sortes de tours, en faisant tomber des objets, en poussant des cris ou, comme dans le cas dont il s’agit, en les attaquant directement.

Cette fois encore, Tomwaya Lakwabulo fut le héros de la situation, car il était le seul à connaître la magie capable de calmer un Kousi et de le transformer en un oiseau, au chant doux, appelé Kabwaku. Il se rendit aussitôt vers la maison hantée où je l’accompagnai avec plusieurs indigènes.

« Tomwaya Lakwabulo reste seul ici », me dit un indigène d’une voix tremblante. « Il va exécuter une magie. Sa magie est très forte. Nous retournerons sur le baku (place centrale) ; et peu à peu vous verrez, vous entendrez un oiseau Kabwaku qui viendra et chantera sur la place centrale. »

Et en effet, comme si cela s’était réellement produit en vertu d’une action magique, deux de ces oiseaux commencèrent peu de temps après à chanter et à se répondre l’un à l’autre, leurs appels mélodieux venant des sommets des palmiers qui surplombaient la veillée funèbre. Autant que je sache, ces