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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/175

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oiseaux apparaissent régulièrement à cette heure de la nuit en remplissant les villages de leurs mélodies. C’est probablement ce qui explique la croyance, car c’est généralement pendant qu’ils veillent que les indigènes entendent les Kabwaku et sont effrayés par le Kousi. Mais cette fois, l’association s’était produite d’une façon si opportune qu’elle ne m’impressionna pas moins que les indigènes.

Assis sur quelques bûches un peu en dehors de la foule, écoutant les chuchotements inquiets autour de moi, fatigué par deux nuits sans sommeil et par une journée accablante, je me sentis peu à peu céder, comme dans un état de demi-rêve, à l’atmosphère mentale qui m’environnait et à ses suggestions. Je me sentis enserré dans l’horizon étroit et concret des croyances des indigènes ; l’esprit critique, froidement observateur de l’anthropologiste devint pendant quelque temps latent. Je me sentis vivre à l’unisson avec les incidents de cette nuit et, pendant un instant, je compris parfaitement pourquoi ces incidents constituaient, aux yeux des indigènes, une preuve irréfutable de l’existence des esprits et du monde des esprits.

VII

Un soir, peu de temps après ces événements, je parlais devant ma tente des incidents mémorables de cette nuit-là. Un homme s’approcha de nous et dit :

« Narubuta’u frappe les lèvres de Tomwaya pendant la veillée. Bientôt d’autres esprits viennent le frapper. Regarde ! Le voilà qui marche. » Et il indiqua une silhouette triste, hésitante, qui avançait lentement dans le crépuscule. « Il va vers la plage d’Oloulam ; il s’y rend à la nuit tombante ; il revient en pleine nuit. Il s’y rend, parce que les esprits l’appellent. Nous autres hommes, nous n’y allons jamais, car il pourrait nous arriver malheur. C’est l’endroit où les sorcières volantes se donnent rendez-vous. De là, elles s’envolent vers leurs assemblées, au-dessus de la mer. »

En effet, Tomwaya Lakwabulo marchait lentement, comme un aveugle qui cherche son chemin à tâtons, ou comme un