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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/176

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homme en état de transe. Le jour suivant je l’ai rencontré et j’ai constaté qu’il avait l’aspect d’un homme apathique, épuisé, le regard fixe, les traits sans expression. Il n’était pas alors en état de transe, mais on m’assura que celle-ci ne tarderait pas à venir, puisque les esprits l’appelaient.

Le lendemain, alors que j’étais assis avec un groupe de pêcheurs réparant leurs filets, Namyobé’i, la fille de Tomwaya Lakwabulo, et Bo’usari, qui était peut-être la plus jolie jeune fille d’Oburaku, vinrent nous parler. Celle-ci dit, en s’adressant à moi :

— Votre ami est mort ce matin ; il est parti pour Tuma. Les baloma (esprits) ont frappé ses yeux.

— Quand ? demandai-je.

— Ils sont venus la nuit dernière ; ils s’assirent sur ses lèvres ; ils chantèrent.

— Quels esprits sont venus ?

— Celui de Narubuta’u, celui d’Inekoya, et celui du fils de Toburaku.

Le premier de ces esprits était pour ainsi dire l’esprit du jour, l’autre celui d’une parente du visionnaire et le troisième celui d’un jeune homme, fils d’un de ses amis, les deux derniers étant morts au cours de l’année dernière.

Ces nouvelles causèrent une certaine sensation dans les groupes avec lesquels j’étais assis.

— We-e-e-e ! Le veuf est parti pour Tuma ! Le visionnaire, qui portait le deuil de sa femme, ne pouvait pas être appelé par son nom ; le nom est en effet tabou pendant la période de deuil et les veufs et veuves ne peuvent être désignés que par leur situation sociale.

— Oui, oui, je vous l’ai dit qu’il partirait. L’esprit n’a-t-il pas parlé par sa bouche pendant la veillée ?

— Il était venu la nuit dernière après que le vent se fut subitement calmé. Le vent était très fort et venait du côté yavata (mousson). Puis il s’est calmé subitement. Je l’ai entendu. J’en ai parlé à ma femme. J’ai dit : « C’est le moment où les esprits viennent. Qui sait ? Ils viennent peut-être chercher le veuf. Il s’en ira à Tuma. » Et, maintenant, vous voyez tous que c’est arrivé. Je sais toujours quand les esprits doivent venir.