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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/177

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Namyobé’i, la fille du visionnaire, se mit alors à parler avec un orgueil évident et avec le sentiment de son importance, assumant le rôle de principal informateur.

— Le veuf est maintenant dans sa cabane. Il ne mangera rien pendant la journée, peut-être pendant deux jours, peut-être pendant plusieurs jours, pendant un mois. Il ne mange pas, il ne marche pas, il ne boit pas. Il ne boit rien du tout, ajouta-t-elle en réponse à ma question. — Rien du tout, sauf lorsqu’ils lui donnent une noix de coco verte pour les esprits. Il reste dans la cabane, et ne fait rien. Son esprit est parti, son corps seul reste dans la cabane. Il est tout à fait mort ; il n’a besoin ni de boire ni de manger.

Et elle s’en alla, expliquant et répétant nombre de détails ; il va sans dire qu’en écoutant son récit, je ne pus faire exactement la démarcation entre ce qui était fait brut et ce qui était une de ces exagérations auxquelles l’imagination des indigènes est si prompte et qu’on retrouve dans leurs moyens d’expression linguistique. Mais il était évident que tous les autres auditeurs étaient prêts à confirmer d’un bout à l’autre le récit de Namyobé’i.

— Il est vraiment mort, répétaient-ils les uns après les autres, voulant dire par là que son corps était en pleine défaillance, qu’il ne se rendait pas compte de ce qui se passait autour de lui, qu’il était frappé d’une suspension complète des fonctions physiologiques et qu’il n’avait pas besoin de s’alimenter.

— Son esprit est à Tuma. Il y est nourri ; il y est maintenu en vie grâce à la nourriture des baloma (esprits) et à leur eau.

— Lorsqu’il reviendra de Tuma, il sera petit, maigre, très laid. Ses os seront saillants comme ceux d’un cadavre. Il ne pourra ni marcher, ni parler.

Je puis ajouter que je soupçonnais fortement le médium de ne s’être pas imposé un jeûne aussi absolu qu’on le croyait. Je fis cadeau à sa fille de plusieurs boîtes de conserve de bœuf, et j’ai des raisons de croire qu’une bonne partie de cette viande disparut dans l’intérieur spiritualisé du médium.

— Nous allons tous le voir pendant la nuit. Tous les gens du village s’assemblent autour de sa maison. Nous entendons alors les esprits qui chantent. Ce n’est pas un esprit qui chante,