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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/178

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ni deux, mais tout Tuma vient et chante : nous entendons leurs chants, et nous nous mettons à chanter avec eux.

Cette façon de parler exagérée est l’effet aussi bien de la grammaire que de l’imagination sans frein, et je me rendais parfaitement compte que celui qui me parlait voulait tout simplement me persuader que la manifestation vocale spirituelle était le fait non d’un seul ou de deux participants, mais de plusieurs.

— Plus tard, la nuit venue, vous pourrez y aller vous-même et vous entendrez. Vous verrez beaucoup de gens de ce village et des villages voisins : Wawela, Sinaketa, Luba ; ils viendront tous ici. Ils apporteront des cadeaux au veuf. Le vieillard, Tuburaku, lui donnera un paquet de noix de bétel, afin qu’il puisse le remettre à son fils à Tuma. Nous lui offrons un cadeau, et nous lui disons : « Ceci est pour l’esprit de Narubuta’u ou pour un autre homme ».

— Une nuit, les esprits apportent certains objets dans la maison du veuf. Nous sommes assis, nous attendons, nous écoutons, nous chantons. Tout à coup nous voyons apparaître de la nourriture, des noix de bétel ou du tabac, parfois une petite parure. Ils apparaissent tout seuls ; ce sont les esprits qui les laissent tomber.

VIII

J’écoutais tout cela avec un vif plaisir, avec le plaisir que seul l’explorateur est capable d’éprouver lorsqu’on lui fait la description d’un domaine nouveau et mystérieux dans lequel il est sur le point d’entrer. Abstraction faite de ce qu’il peut y avoir de vrai dans la description de ces phénomènes psychiques, les détails racontés à leur propos constituent un document ethnographique inappréciable ; de plus, j’ai l’homme là, sous la main, en état de transe et m’offrant une excellente occasion d’observation directe. Je me levai et, ayant appelé Namyobé’i, je me dirigeai vers la maison du visionnaire.

J’essayai d’entrer sans bruit, afin de le surprendre au cas où il trichait ou simulait. Je le trouvai étendu sur une couche,