Aller au contenu

Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les yeux fermés, dormant d’un sommeil lourd et non reposant, ou en état de transe véritable. Malgré que nous ayons parlé en sa présence et que je lui aie même adressé la parole directement, il ne répondait pas et n’ouvrait pas les yeux, mais restait couché, geignant et remuant d’une façon lourde et maladroite. De temps à autre il murmurait quelques paroles, dans un langage bizarre qui était présumé être celui des esprits ; et il remuait de nouveau, en faisant des gestes étranges, forcés, comme s’il se trouvait sous l’influence d’une force extraordinaire.

Je restai longtemps assis, à l’observer, mais il n’arriva rien et Namyobé’i m’assura que son père resterait dans cet état jusqu’à la nuit.

— Maintenant les baloma (esprits) dorment. Lorsqu’il fait jour ici, il fait nuit là-bas. Ils dorment et son esprit est également endormi. Il rêve à Tuma et il parle à travers ses rêves.

Je connaissais déjà la croyance à l’opposition entre le jour et la nuit dans les deux mondes. Je savais également ce que les indigènes croyaient au sujet de la nature de la transe que j’avais pour la première fois devant les yeux. Ils croient ainsi que l’esprit du médium est parti et que son corps seul reste. Mais bien que son esprit se trouve à plusieurs milles de là, tout ce qui lui arrive se manifeste d’une certaine façon dans le corps. Et non seulement cela, mais tout ce qui arrive autour de l’esprit, surtout les voix des autres âmes et leurs mouvements, trouvent leur expression par la bouche du médium et par les mouvements de son corps. La manifestation la plus frappante consiste dans la soudaine apparition d’objets matériels dans la maison du visionnaire. J’ai à peine besoin d’ajouter que toutes ces inconsistances ne s’expliquent ni par une « logique sauvage », différente de la nôtre, ni par la structure de l’ « esprit primitif ». Les adeptes de l’occultisme et du spiritisme qui existent parmi nous professent des croyances exactement identiques et se rendent coupables des mêmes inconsistances.

Le soir venu, les indigènes arrivèrent soit individuellement, soit par groupes, et s’installèrent pour ce qui promettait d’être une longue veillée ; car chaque groupe avait allumé son propre feu et avait apporté des rafraîchissements. La porte de