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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/18

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à laquelle on n’est pas rattaché par les liens personnels de la parenté ou de l’amitié », me paraît trop étroite et ne pas tenir compte d’éléments importants. Parmi les normes de conduite, en vigueur dans les sociétés sauvages, il en est qui imposent à un individu ou à un groupe des obligations envers un autre individu ou groupe. Ceux qui s’acquittent de ces obligations sont généralement récompensés dans la mesure où ils l’ont fait, tandis que ceux qui font preuve de négligence ne peuvent compter sur aucune indulgence. En analysant, à la lumière de cette conception compréhensive de la loi, les forces qui confèrent à celle-ci un caractère obligatoire, nous en arriverons à des résultats beaucoup plus satisfaisants qu’en nous livrant à la discussion de questions comme celles d’autorité, de gouvernement et de châtiment.

Le Dr Lowie, qui est la plus grande autorité en matière d’anthropologie aux États-Unis, exprime une opinion très analogue : « D’une façon générale, on obéit avec plus d’empressement aux lois non écrites ayant un caractère coutumier, qu’à nos codes écrits ou, plus exactement, on leur obéit plus spontanément » (Primitive Society, chap. « Justice », p. 387, édit. anglaise). Comparer l’ « empressement » que met à obéir aux lois un primitif australien à celui d’un habitant de New York, ou celui d’un Mélanésien à celui d’un citoyen non conformiste de Glasgow, c’est user d’un procédé dangereux, et les résultats d’une telle comparaison ne peuvent en effet être que très « généraux », jusqu’à perdre toute signification. Ce qui est vrai, c’est que nulle société ne peut fonctionner efficacement, tant qu’elle compte sur « l’empressement » de ses membres à obéir aux lois, c’est-à-dire sur une obéissance « spontanée ». La menace de coercition et la peur du châtiment n’atteignent pas l’homme moyen, qu’il soit « primitif » ou « civilisé », mais sont indispensables pour certains éléments turbulents ou criminels de l’une ou l’autre société. En outre, il existe dans chaque civilisation humaine un certain nombre de lois, de tabous et d’obligations qui pèsent lourdement sur chaque citoyen, lui imposent de grands sacrifices et auxquels il obéit pour des raisons d’ordre moral, sentimental ou pratique, mais sans aucune « spontanéité ».

Il serait facile de multiplier les citations et de montrer que