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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/19

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le dogme de la soumission automatique à la coutume domine toutes les recherches sur la législation primitive. Il est cependant juste de reconnaître que beaucoup d’erreurs théoriques et de vices d’observations tiennent à ce que ce sujet est hérissé de difficultés et de véritables pièges.

L’extrême difficulté du problème tient, à mon avis, au caractère très complexe et diffus des forces qui constituent la loi primitive. Accoutumés que nous sommes à nos mécanismes précis de législation, d’administration et d’exécution des lois, nous cherchons quelque chose d’analogue dans les sociétés primitives et, ne le trouvant pas, nous en concluons que si les lois y sont obéies c’est grâce à un penchant du primitif à obéir aux lois de son pays.

L’anthropologie semble se trouver ici en présence d’une difficulté analogue à celle qu’eut à surmonter Tylor dans sa « définition minimum de la religion ». En partant du principe que la loi tire sa force de la présence d’une autorité centrale, d’un code, de tribunaux, de juges, on en arrive forcément à la conclusion que, puisque les communautés primitives manquent de toutes ces institutions, c’est que la loi n’a pas besoin d’y être imposée, mais est obéie spontanément. Des cas, rares et occasionnels il est vrai, de violation de la loi par les sauvages ont bien été enregistrés par des observateurs et utilisés par des auteurs de théories anthropologiques qui ont toujours maintenu que les sauvages ne connaissaient que les lois pénales. Il est cependant un certain nombre de faits qui ont complètement échappé à l’anthropologie moderne, à savoir que, dans des conditions normales, l’obéissance aux lois est tout au plus partielle, conditionnelle et sujette à des défaillances et que ce qui impose cette obéissance, ce ne sont pas des motifs aussi grossiers que la perspective du châtiment ou le respect de la tradition en général, mais un ensemble fort complexe de facteurs psychologiques et sociaux. C’est ce que j’essaierai de montrer sur l’exemple d’une province ethnographique, le nord-ouest de la Mélanésie, en insistant sur les raisons pour lesquelles des observations analogues à celles que j’ai faites moi-même devraient être étendues à d’autres sociétés, de façon à nous donner une idée plus ou moins exacte de leur organisation juridique.