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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/27

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refuser sa place dans le canoé, et il doit veiller à ce que chacun reçoive sa part de la pêche. En ceci, comme dans toutes les autres activités d’ordre économique, le comportement social des indigènes repose sur un système bien établi de do ut des, toujours sous-entendu mentalement et dont la balance s’établit à la longue. Pour ces indigènes, il ne s’agit pas de s’acquitter d’une façon quelconque d’un devoir ou d’accepter sans scrupules un privilège, sans se sentir tenus à la réciprocité : ils ne connaissent pas le mépris « communiste » du crédit et savent que tout ce qui a été accepté de part ou d’autre doit être et sera rendu tôt ou tard. La liberté et l’aisance avec lesquelles se font les transactions, les bonnes manières qui y président sont faites pour atténuer les frictions et les maladresses et pour cacher à la vue de l’observateur superficiel les calculs vigilants et intéressés qui guident les parties en cause. Or, rien n’est plus évident que ces calculs pour quelqu’un qui connaît les indigènes intimement. Au contrôle exercé par le maître à l’intérieur de son canoé correspond celui exercé dans la communauté par le chef qui en est généralement le magicien héréditaire.


V

Loi, intérêt personnel et ambition sociale

Il est à peine nécessaire d’ajouter qu’il existe d’autres mobiles qui, en plus de la contrainte et des obligations réciproques, poussent les pêcheurs à s’acquitter de leur tâche. L’utilité de la profession, le désir d’avoir toujours une nourriture fraîche et excellente et, surtout, l’attraction qu’exerce sur les indigènes la pêche qu’ils considèrent comme un sport fascinant, constituent des mobiles plus évidents, plus conscients et plus efficaces que ceux que nous avons décrits comme formant l’obligation légale. Mais la contrainte sociale, le respect pour les droits et des revendications des autres ne perdent jamais leur emprise sur l’esprit et la conduite des indigènes, lorsqu’ils ont réussi à comprendre nettement ce qu’on exige d’eux. La contrainte et le respect des autres sont, en outre, indispensables pour assurer