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Page:Malinowski - Mœurs et coutumes des Mélanésiens, trad. Jankélévitch, 1933.djvu/36

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complexe do ut des, et qu’à la longue les services réciproques finissent par s’équilibrer[1].

La vraie raison pour laquelle toutes ces obligations sont généralement remplies, et même très scrupuleusement, est que le fait de ne pas s’en acquitter place l’homme dans une situation intolérable, et la moindre négligence lui attire l’opprobre. L’homme qui s’obstinerait à désobéir aux prescriptions de la loi dans les affaires économiques ne tarderait pas à se faire mettre au ban de la vie sociale et économique, et il le sait parfaitement. On connaît aujourd’hui des cas d’indigènes qui, par paresse, excentricité ou faute d’esprit d’entreprise conformiste, ont pris le parti d’ignorer les obligations que comporte leur statut et sont devenus, de ce fait, automatiquement des proscrits, obligés de vivre aux crochets des blancs.

Un citoyen honorable est tenu de s’acquitter de ses devoirs, et sa soumission, loin de lui être dictée par un instinct ou une impulsion intuitive ou un « sentiment de groupe » mystérieux, résulte du fonctionnement d’un système élaboré dans tous ses détails et dans lequel chaque acte a sa place et doit être accompli sans rémission. Bien que nul indigène, quelqu’intelligent qu’il soit, ne soit à même de formuler la situation dont nous parlons dans des termes abstraits ou de la ramener à une théorie sociologique, tout le monde ne se rend pas moins compte de son existence et est capable de prévoir les conséquences que peut entraîner le non-accomplissement des obligations.

Dans les cérémonies religieuses et magiques, chaque acte, ou à peu près, n’est pas seulement accompli en vue de ses fins et effets primaires, mais est aussi considéré comme une obligation entre individus ou groupes, comme comportant tôt ou tard une rémunération ou un contre-service, stipulé par la coutume. La magie, dans ses formes les plus importantes, est une institu-

  1. Voir dans L’Année sociologique (Nouv. Série, vol. I, pp. 171 et suiv.) les critiques que M. Marcel Mauss adresse à mon expression « don pur ». J’ai écrit ce paragraphe avant de connaître les objections de M. Mauss que je ne puis qu’approuver. Il est agréable pour un praticien de voir que ses observations sont assez bien présentées pour permettre à d’autres de réfuter ses conclusions à l’aide de ses propres matériaux. Il m’est encore plus agréable de constater qu’un jugement plus réfléchi m’a conduit, indépendamment de M. Mauss, aux mêmes résultats que ceux auxquels il est arrivé de son côté.